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Un jardin au-dessus des nuages

Ce jour-là la promenade se déroulait sur le fil, « El filo », comme se nommait la randonnée. Sur la crête formant un arc autour du pic du Teide, c’est en réalité sur le bord de l’ancien cratère qu’était posé le trajet.

Le chemin traversait une zone militaire. Les panneaux indiquant l’interdiction de passage étaient en contradiction avec les commentaires du site de randonnée qui expliquaient que s’il n’y avait pas d’entrainement, le passage était autorisé. Dimanche matin, peu de chances qu’il y ait un entrainement, mais une inquiétude s’emparaît tout de même de moi tandis que je traversais la zone. Au milieu de l’espace soi-disant interdit, un panneau du Parc National donnait des renseignements sur la géologie visible depuis ce point de vue. Si un tel aménagement touristique existait, n’était-ce pas le signe que nous étions autorisés à passer par là ?

Les contradictions sont des choses courantes dans notre monde actuel. Pour les bons élèves qui ont appris à l’école à obéir aux règles, il y a de quoi être perdus. Impossible de rester un bon garçon ou une gentille fille dans un monde où les interdits et les injonctions se contredisent. L’autre jour encore, dans une boutique de vente de fruits et légumes, un panneau indiquait l’obligation d’utiliser des gants en plastique pour se servir en légumes. L’hygiène avant tout. Arrivés à la caisse, les clients faisaient face à une photo de tortue s’étouffant avec du plastique, et une mise en garde : « utilisez le moins possible de plastique pour sauvegarder les animaux ». Attention à l’environnement ! Hygiène ou environnement ? Choisis ton camp, mais l’un n’est pas compatible avec l’autre. Triez vos déchets ! N’utilisez pas de cotons tige, malheureux ! Mais surtout mettez votre masque à usage unique, et changez-le régulièrement. Dissonance cognitive. Le meilleur moyen de rendre fou. Ou du moins coupable. La transgression est alors inévitable. L’obligation de trouver des alternatives, une troisième voie est alors nécessaire, pour rester fidèle à ses propres lois.

Une fois la zone de stress traversée, le chemin apportait le randonneur sur une crète où de part et d’autre se tapissait sous les pieds une mer de nuages. Le matin, près de la côte, le temps était épouvantable. Pluie, grisaille. En s’élevant, on retrouve toujours le soleil. Ici le ciel immensément bleu était baigné de lumière qui réchauffait la peau. A quelques mètres d’altitude de différence, une autre saison. Un saut dans l’espace, un saut dans le temps. Prendre du recul permet toujours d’y voir plus clair.

Et puis cette balade m’offrit un paysage merveilleux : sur les hauteurs du monde, des bouquets de fleurs violettes et jaunes s’étendaient sur les plaines, dans les vallées. Pour la première fois, je découvrais un véritable jardin au-dessus des nuages, au milieu du désert. Ça y est, je suis arrivée au Paradis ? Les abeilles toutes affairées bourdonnaient et passaient à côté de mes oreilles à toute vitesse. Le parfum des genêts blancs apportait sa douceur. Il n’y avait personne. C’était magnifique. Quelques lézards traversaient la route furtivement. Des hirondelles volaient au-dessus de moi tandis que des nuages remontaient la pente. La vue sur le Teide et toute la caldera était sublime. Sous mes pas, les petites billes de roches poreuses et légères faisaient un son creux de corn flakes.

Je prenais le temps de m’arrêter, de prendre des centaines de photos de ces fleurs sous toutes leurs coutures. Avancer à son rythme, s’arrêter quand on veut, c’est ça la vraie liberté. Suivre son cycle naturel, ses envies du moment. Il semble que la totale liberté soit donc conditionnée à la solitude. Sans adaptation, sans contraintes. Mais après cette pure liberté, quelle joie de retrouver le lien, et de pouvoir raconter à ses proches l’aventure qui a été vécue, pour la partager. Le cœur rechargé de son temps.

Vers la fin de la balade, apercevant la destination, mes jambes se sont emballées comme un cheval qui s’approche de l’écurie. Mais la descente était dangereuse, avec des pierres glissantes sous les pieds fatigués des presque 7h de marche. C’est alors que j’ai ralenti. Je me suis rendue compte que là encore il y avait une leçon, un enseignement. Souvent lorsque nous approchons du but, la fatigue accumulée, nous voulons abréger la souffrance en accélérant le pas pour vite atteindre l’état où le but est atteint. Mais dès que nous voulons accélérer, c’est là que nous devons ralentir. Faire une pause. Car cette accélération est une fuite de ce qui est proposé là dans l’instant. Le chemin n’est pas fini. Et nous allons gâcher ce chemin en se projetant dans l’avenir souhaité. C’est encore une façon de ne pas accepter ce qui est, d’aller contre ce qui est. Et par la lutte, le moment n’en devient que plus difficile. En ralentissant, je profitais encore pleinement du chemin. Je m’arrêtais pour ajuster mes chaussures, boire un peu d’eau. Avec un peu plus de confort, je pouvais profiter de la suite de l’histoire. Et c’est là que j’aperçu une magnifique fleur rouge qui émergeait à quelques pas du chemin. Un Echium wildpretii, ou Tajinaste, ressemblant à un bonnet de lutin. Est-ce que les lutins poussent dans la lave volcanique ? D’autres pourraient y voir un beau piment rouge. Cette couleur si criarde détonnait dans le décor aux couleurs beige, gris, blanc, marron et noir. La fleur disait « Regardez-moi, je suis là ! ». Les pollinisateurs l’avaient bien vue. Ils faisaient des cercles autour d’elle, comme une danse en hommage à sa beauté éclose.

La fin de la randonnée se déroulait sous de superbes silhouettes rocheuses créant de beaux panoramas à l’horizon.

Ainsi s’achevait encore une belle traversée entre leçons de vies et émerveillements au sein du volcan enseignant.

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