
Ce jour-là, ce n’est pas une randonnée que nous avons faite. C’est un plongeon dans un conte. Cela pourrait s’appeler « La légende de la source d’or ».
Dans le creux d’un barranco, un de ces ravins volcaniques dont regorge l’île, se trouvait une source. Après être passé sous les grands eucalyptus à l’odeur enivrante, le promeneur pouvait rejoindre une petite marre entourée d’un muret en pierre de lave noire. Les fougères y poussaient, les palmiers s’y courbaient et de grands roseaux s’apparentaient à des bambous. De premier abord, la source semblait classique. A celui qui passait devant rapidement sans y prêter grande attention, il n’y paraissait rien d’anormal. Mais lorsqu’on prenait le temps d’arpenter un peu les environs, un phénomène étrange apparaissait : depuis le côté droit de la marre, face à la paroi rocheuse, l’eau était de couleur plus ou moins marron ou transparente. Mais depuis le côté gauche, elle apparaissait clairement dorée. On ne parlait pas ici d’un simple reflet du soleil illuminant le lieu. Dans la cavité sous la roche, il y avait comme une fine couche de feuilles d’or reposant sur la surface de l’eau. Mais il n’était possible de la voir que depuis un angle de vue bien particulier.
Bonne leçon d’humilité sur les confrontations de point de vue : en effet une personne située à droite de la source pouvait dire « l’eau est marron » et une autre à gauche « l’eau est dorée ». Leurs avis pourraient paraître opposés. Et pourtant selon les sens de chacun, l’information perçue était vraie pour chacun d’entre eux. Ils avaient raison tous deux. Ces vérités opposées existaient en même temps. Un peu comme en physique quantique : l’élément observé est à la fois absent et présent, selon s’il y a un observateur ou non.
La source devenait source de vérité : elle nous apprenait que plusieurs vérités se côtoient en même temps.
En me rapprochant de plus près, je constatais une bouteille échouée de Jagermeister. Serait-ce le liquide déversé par le cerf emblématique qui donnait cette couleur à l’eau ?
Telle une bouteille jetée à la mer, elle déversait son message doré au creux de la roche ?
Nous ne connaîtrons pas la source exacte du mystère. Mais n’est-ce pas le principe même d’un mystère ? Ne pas connaître l’origine d’un évènement ne nous empêche pas d’en apprécier le résultat. D’où venons-nous ? Qu’importe, le ciel est beau aujourd’hui. Pourquoi ? Qu’importe, la lumière est belle en cette fin d’après-midi et me réchauffe le visage. Quel est le sens ? Qu’importe, j’ai mes sens en exergue pour pouvoir humer le parfum de l’armoise et sentir le vent sur ma peau.
Nous cherchons souvent les causes pour comprendre les effets. Cela nous rassure, nous donne l’illusion de la sécurité en nous faisant croire que nous pourrons anticiper les évènements. Cela est possible en effet parfois, à une certaine échelle et dans une certaine simplicité. Mais lorsque les évènements nous dépassent à l’échelle du temps et de la géographie, de la démographie, la complexité du système est telle que la prédiction est impossible à déduire pour nos petits cerveaux, noix protégées flottant à la surface de l’humanité.
Alors plutôt que d’occuper nos capacités à résoudre intellectuellement des problèmes incommensurablement grands, revenons à ce qui est à nos dépends. Suivons le vent si l’envie nous prend. Allons à contre-courant, si tel est notre sentiment. Chaque pas est une décision qui sculpte notre vie. Nous n’avons pas de garantie. Mais dans ce labyrinthe de ressentis, notre boussole intérieure nous dit : « Va, va par-là, c’est par ici que résonnent tes pas. ».
La vie nous invite ainsi au courage d’avancer sans savoir, mais c’est aussi ce qui en fait le fruit. Ne sommes-nous pas curieux de découvrir la suite, en espérant le dénouement heureux ?
Tels des alchimistes nous testons nos potions, nous expérimentons nos contradictions, et c’est par ce lancer sans filet que nous dessinons pas à pas le chemin de notre destinée. La brume devant, les souvenirs derrière, le jour de notre grand départ nous pourrons contempler le livre écrit dans la matière. Mais sans attendre ce moment furtif, délectons-nous en chaque instant, de cette image du pinceau s’étalant sur la feuille de nos vies, sur les paysages de nos envies, en comprenant : qu’importe le résultat, que ressens-tu maintenant en créant ? C’est cet état qui doit être l’objectif de nos émois.
A la source du volcan, la lave n’était pas rouge sang. L’eau de vie gorgée d’or nous avait appris, qu’en ce bas monde dès lors, on peut être enivrés de beauté.