Happée par l’appel de la forêt, je décidais d’embarquer dans ma monture métallique, prête à m’emmener au bout des criques. Elle voulait passer incognito, sablée par les caresses du Calima ; ce vent nous apportait du Sahara les murmures du désert, pleins de secrets et de mystères, nous rappelant que le continent n’était pas si loin de notre Océan.
Suivant mon envie de jouer à la vigie, j’empruntais un sentier montant vers les sommets.
Mais la route était barrée. Elan stoppé dans son embarquée.
Qu’à cela ne tienne, le paysage bucolique me rappelait certaines vues romantiques, croisées en Slovénie il y a une petite décennie, avec un clocher pointant son épine, ressortant d’un village qui au bord d’un rocher s’agglutine. La montagne était imposante en arrière-plan, les rochers abruptes recouverts de sapins, ici de pins. Les nuages gris rayés par quelques éclaircies, la vue était pleine de caractère, de profondeur et de lumières.
Je garais donc ma voiture, à la première embouchure.
Suivant le flot des manants, qui remontaient le courant, j’empruntais un chemin de croix, qui me surprenait parfois. Nous étions le 3 mai, et en cette fête canarienne, les habitants les avaient décorées comme des reines. Les villages qui portaient le nom de Cruz, ayant porté leur croix toute l’année, bénéficiaient d’un jour férié bien mérité.
Certaines portes étaient ouvertes, et l’on pouvait rentrer dans l’intimité, afin d’admirer les fleurs et les couleurs, d’un résident tout content, fier d’accueillir à bras ouverts les passant intrigués, puis émerveillés par ces intérieurs soignés et préparés pour l’occasion d’une discussion.
Sur la place de l’église, les chants christiques avaient été remplacés par de la musique tectonique, dont le volume sonore n’était égalé que par les odeurs, de mets fumés et grillés, d’alcool partagé. Ambiance joyeuse et porteuse, il n’y a pas à dire, les espagnols savent se divertir. Au terme d’une longue attente, sans savoir trop ce que j’attendais, un cortège descendit en paix, dans un calme surprenant, tanguant de gauche à droite, au rythme des pas qui soutenaient la croix. Il fallait avoir de gros bras, au vu de son poids.
La foule s’agglutinant, je m’échappais de la nuée, remontant la rue aux drapeaux tendus.
Des pétales de roses et des confettis rectangulaires jonchaient le sol et les parterres.
Je décidais de reprendre ma quête, vers la forêt qui s’était immiscée dans ma tête.
Croisant un panneau de randonnée qui indiquait un certain Tilleul centenaire, je choisissais ce nouvel itinéraire, comme objectif de corsaire.
En quelques pas je me retrouvais là, assise sur un rocher au milieu d’une vallée, surplombée par de grands rideaux de roche, qui ouvraient le théâtre sur un spectacle naturel plein de promesses et de merveilles.
Dans le village en contre-bas, c’était l’émoi. Les habitants rejouaient les ancestrales batailles entre la rue del Medio et la rue del Sol, entre la Terre du Milieu et le Soleil, entre la classe bourgeoise et les paysans, entre le Soi et les Autres, entre ce qui est Nous et ce qui est Vous, … une lettre de différence et c’est l’effervescence.
Aujourd’hui ces joutes étaient transformées en spectacle pyrotechnique, à coup de pétards et de feux d’artifices en plein après-midi.
Depuis mon perchoir, je pouvais les apercevoir. Dans le ciel trop clair, les bouquets d’éclairs étaient plutôt des souffles de fumée, comme si un jeune dragon s’entrainerait à cracher. Les petits nuages dissipés finissaient par former une silhouette montante, reliant par sa verticale les maisons et la voûte astrale. Qui voulait pouvait entrevoir dans la fumée, deux anges enlacés aux ailes déployées. La réconciliation des civilisations ? La fête est certes le meilleur moyen d’y parvenir. A coup de joie et de rires partagés autour de grandes tablées, telle est la destinée.
Fuyant les retentissements des pétards bruyants, un cheval et sa cavalière s’étaient mis à détaler au milieu des prés, me frôlant en s’en allant à grandes enjambées, vers le cœur de la vallée. Vue épique sur fond de fumée atypique.
Les détonations résonnaient dans la montagne, et leur écho propageait la campagne. Tout le monde est très vite au courant, et l’information se diffuse vite le long du courant. Tous les étages sont reliés, pas besoin de câbles enterrés. Les rapaces sifflent les menaces et le caillou qui tombe dans la crevasse signale le passage d’un animal qui déjà s’efface. A l’affût des sons, on peut obtenir tout un tas d’informations. Depuis longtemps déjà les ondes, sont les messagers du monde.
Reprenant la marche, je traversais des cascades de capucines orange. Je longeais des vagues de graminées souples et douces aux épis noirs et contrastés, qui ourlaient la vallée où l’eau ne s’écoulait plus, remplacée par un cours de fougères qui dévalait la pente en une trainée vert menthe.
Tapis dans les fourrés, des poules sauvages protégeaient une progéniture peu sage, en m’incitant à déguerpir de leur passage, avec force de caquetages. Je ne me laissais pas priée !
Un peu plus loin, virevoltant dans les airs, je remarquais une couleur agitée : un papillon désœuvré ? Un peu trop fluo pour être endémique, un peu trop beau pour que ce soit féérique. Il s’agissait d’un confetti égaré, amené par les vents ascendants vers la Nature au tournant.
Sur le chemin je ramassais trois confettis. Tous les trois étaient bleus, alors qu’en bas la place était recouverte de mille feux. Est-ce que les confettis bleus volent mieux ? Où est-ce qu’ils cherchent à reprendre leur place de pixel, au milieu du bleu du ciel ?
Puis mon chemin m’amena au milieu des entrelacs des troncs de bruyères arborescentes, qui s’accrochaient à la pente.
Je sortis près d’une maison, où le chat se prélassait sur le toit, les fleurs débordaient du grillage et les statues d’éléphants marchaient à pas de géant.
La montée était rude, mais la récompense pleine de gratitude : la vue sur la vallée s’étendait sous mes pieds. Les projecteurs illuminaient l’océan et les maisons s’y accrochant. Les parois rocheuses formaient un amphithéâtre, à la fois intimidant et protecteur, parfait emplacement pour le spectateur.
La dernière intersection n’était pas gratifiée du fameux drapeau jaune et blanc comme indiqué, dont certains rochers portent le tatouage, afin d’aider le passage jusqu’au rivage.
Attirée par la lumière, j’empruntais le mauvais itinéraire. Les broussailles menant la bataille, je revenais au carrefour, pour choisir l’autre détour. Après quelques sauts de part et d’autre du filet d’eau, j’arrivais à la source, coulant des racines du tilleul qui gardait le trésor liquide depuis une centaine d’années non arides. Il n’avait pourtant pas tant de rides.
Mission accomplie, je pouvais redescendre telle une goutte d’eau jusqu’à mon radeau, remplie encore un peu plus de magie, de rencontres improbables et de récits racontables.
Je finissais la journée les pieds dans le sable, entourée de ma famille à qui je comptais ma fable.
Les yeux rivés vers l’horizon, au son du reflux des vagues, mon cœur s’était accordé à l’unisson, revigorée de mon escapade.