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Las Nieves

Le village se situait au bout du monde, sur les hauteurs à la fin d’un long lacet d’asphalte déposé sur les éperons rocheux. Quelques maisons, peu de gens dehors, mais tout de même un chapelet de drapeaux multicolores au-dessus de l’unique place du village pour préparer encore une fête. Ce n’est pas parce qu’on habite loin de la civilisation qu’on ne sait pas s’occuper des choses essentielles de la vie. Dans un recoin, trois petites tables et des parasols. Une porte ouverte sur une pièce étroite, de la musique latine à la radio et une serveuse qui fait des allers-retours. L’endroit est parfait pour se désaltérer. Le bar s’appelle « Las nieves », les neiges, peut-être un moyen de s’auto-convaincre qu’on pourra y trouver un peu de fraicheur dans la chaleur estivale. Il est vrai qu’il vaut mieux être préparé avant de commencer l’ascension par laquelle débute la randonnée. La route est effectivement striée comme pour se préparer à ne pas glisser en cas de neige, mais en réalité on se demande comment la gravité permet aux voitures de passer par là. Pour se garer et éviter la chute, une petite pierre sert de cale à une voiture en équilibre sur le bas-côté.

Un peu plus loin, des ruines de maisons surplombent l’océan, avec une vue imprenable sur la côte en dentelle rocheuse, abritées à l’ombre de palmiers, adossées à des vignes qui poussent dans les restanques. A l’époque, on profitait de l’eau coulant des nuages et de la brume accrochée à la montagne pour transformer l’eau en vin. Pourquoi avoir quitté ce Paradis ? Adam et Eve ont dû tomber du rocher, et dévalant jusqu’à la ville un peu plus loin, ils n’ont pas su retrouver leur chemin jusqu’à leur petit coin serein. Peut-être qu’un jour une autre génération voudra remonter la pente pour partager des verres de vin en paix, entre amis faces à la vie.

En attendant, un étalon noir garde le promontoire. Un autre cheval blanc passe avec son paysan, et le peu d’habitants fait que chaque passage est un évènement.

Une voiture rouge rongée par le sel attend sur le bord de la route qu’on allume à nouveau son auto-radio, afin de faire flamber la notoriété de ses passagers. Mais les chevaux du passé semblent tout de même plus adaptés au passage sur ces rochers.  

Des murets de pierre noire suivent les courbes de niveau du relief, comme si des feutres de basalte auraient souligné la topographie des lieux, tracés par un étudiant à l’Ecole du Paysage penché sur ses calques. Au milieu, une petite maisonnette, tout ouverte sur le paysage, abrite une chaise en plastique. De là, on peut voir pousser les vignes.

De drôles de plantes ont décidé de fabriquer une sorte de coton. Misant tout sur le nombre de graines à éparpiller, elles ont créé de véritables tissus cotonneux blancs liant les plantes entre elles. Au moindre vent, ce sont des milliers de petits parapentes végétaux qui s’en vont explorer d’autres versants.

Puis le chemin s’amuse à monter et descendre en équilibre sur la côte. Au sol, un médaillon doré bien implanté semble marquer une coordonnée, sans doute reportée sur quelque carte côtière. Il faut bien dessiner une limite entre les choses, entre la terre et la mer, entre le sol et le vide, entre l’intérieur et l’extérieur du territoire. Pourtant sur place la limite est floue, la mer rentre et ressort, les rochers dégringolent, les tissus se lient et se délient, la paroi est poreuse. Ainsi va la vie, elle n’aime pas être mise dans des cases, et n’a que faire des limites abstraites.

Le relief se verticalise de plus en plus, et on se croirait dans un décor du Seigneur des Anneaux. Nous nous arrêtons sur un éperon pour contempler la beauté de la vallée menant jusqu’à une petite plage. Nous ne sommes pas seules à casser la croûte, quelques lézards sont très intéressés par nos miettes. Les plus gros font la loi face aux plus petits, qui tentent d’autres approches pour chiper un morceau du banquet. Je tends un morceau vers l’un d’eux qui au lieu de s’emparer du met me pince le doigt. Ce n’est pas mon doigt qui se mange, voyons !

Nous apercevons d’autres chemins descendant le talweg, et rêvons d’une prochaine randonnée pour les explorer.

Le retour se fait par le même sentier, lumière dans le dos. Chaque randonnée peut être explorée dans un sens ou dans l’autre, à différentes heures de la journée et à des saisons variées. Ainsi le même chemin peut raconter d’autres histoires, raisonnant avec nos humeurs différentes elles aussi.

On ne passe jamais deux fois par le même chemin. Ce n’est jamais la même lumière, la même fatigue, la même compagnie, … Comme l’a dit une fois mon fils, « en fait tout ce qu’on fait, on le fait pour la première fois ». Eh oui, on n’a encore jamais vécu en ce jour à cette heure avec cet âge en ce lieu. Alors profitons de toutes ces premières fois qui jonchent le parcours de notre vie ! Nous pouvons comme des enfants nous émerveiller de découvrir le monde d’aujourd’hui pour la première fois.

A toutes nos premières fois !

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