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Le droit à l’errance

Dans une émission de Thinkerview sur Youtube (2018), l’astrophysicien et philosophe Aurélien Barrau nous parle de ce droit à l’errance, qu’il reprend de l’écrivaine Isabelle Eberhardt.

Comme c’est intéressant comme idée !

Surtout dans nos vies qui sont toutes réglées, où nous enchaînons l’école, les études, le travail et la retraite, où chaque période de chômage est vécue comme un trou dans le CV, une honte, un malaise qu’il faut vite combler pour ne pas être mis sur les bancs de la société qui joue son match à toute allure et sans mi-temps.

Il n’y a pas de place pour le doute, la remise en question, le changement de plan, l’expérimentation, voire même … l’erreur !

Je me souviens d’un atelier organisé à l’Ecole du Paysage de Versailles, où nos enseignants un peu soixante-huitards alternatifs qui s’occupaient du département d’écologie, nous avaient proposé comme thème de réflexion : « Conduire le vivant ou le droit à l’erreur ». Nous apprenions à créer des projets en jouant avec les textures du vivant, les plantes. Et cela impliquait donc de nous apprendre que contrairement à l’architecture, le vivant ne se conduit pas comme un béton ou une brique. Il n’est pas carré, il ne rentre pas dans les codes, il ne répond pas toujours à nos demandes précises. Un voisin un peu encombrant, et voici qu’une plante ne se développe pas assez. Un manque de lumière, et la croissance se fait plus lente. Quelques périodes de sécheresse, et nous voilà avec un arbuste déplumé. A l’inverse, d’autres plantes ayant trouvé leur place s’épanouiront avec grandiose et nous apporteront surprises, parfums, couleurs et bonheur.

Finalement, il en est de même pour les gens.

Et ce que nos professeurs voulaient nous enseigner, c’est qu’il allait falloir expérimenter, essayer des combinaisons de plantes, des agencements, des façons d’accompagner leur pousse, et qu’en chemin, nous nous tromperons peut-être, l’environnement créera des conditions qui feront que nos attentes ne seront pas comblées. Mais c’est ainsi que nous apprendrons ! Et peut-être que de bonnes surprises fleuriront également au milieu de ces essais. C’était une donnée essentielle à prendre en compte pour notre futur métier.

Qu’il a été difficile de faire comprendre cela à certains clients plus tard ! Eux n’avaient pas suivi cet atelier, et il leur était insupportable que la symétrie ne soit pas parfaite, que le cyprès de gauche pousse un peu de travers par rapport à celui de droite. Il leur était impossible de comprendre que leur érable avait déjà perdu ses feuilles à l’arrivée de l’automne alors qu’un ami à eux avait un arbre magnifique encore en feuille sur sa terrasse quelques pâtés de maison plus loin. Faute au professionnel qui n’avait pas su maîtriser la Nature à leur place. Outrage, lorsque celui-ci leur disait que ce n’était pas à lui de maîtriser la Nature, mais plutôt à l’heureux propriétaire du jardin de changer son regard sur la maîtrise des choses, d’apprendre et de s’émerveiller aux côtés de cet enseignant qu’est la Nature.

Tels des plantes, nous aussi les humains, avons besoin de soleil, d’eau, de trouver notre place parmi nos congénères, de tenter certaines pousses pour voir si nos fleurs s’y plairont. Et en plus de cela, nous avons la possibilité de nous déplacer, d’errer, contrairement à nos colocataires végétaux.

Car les plantes elles, doivent s’adapter à leur environnement, quoi qu’il arrive. Elles ne peuvent le changer. Nous nous prenons parfois pour des plantes, et nous pensons qu’il faut courber nos feuilles sous l’ombre d’un arbre plus grand que soi.

Mais nous avons d’autres options !

Et le respect de soi doit être le premier pas.

Alors commence le chemin … Il faudra sûrement tester plusieurs emplacements, pour comprendre si nous sommes une plante d’ombre ou de soleil, pour comprendre si nous avons besoin d’une terre humide ou plus sèche. Nous devrons apprendre à nous connaître, à identifier nos besoins, pour découvrir petit à petit à quelle place nous nous épanouirons le mieux.

Et cela demande du temps … demandez aux arbres, ils savent ce que cela veut dire.

Et cela demande de faire face à quelques tempêtes et chutes de grêles. Mais nos racines n’en deviennent que plus robustes. Et elles nous permettront de pousser encore plus haut.

Alors oui, il faudra pousser, encore et encore, peut-être même les limites de nos croyances et certitudes, de nos principes.

Et la beauté de la diversité fera naître de nouvelles fleurs, différentes sur chaque être qui grandira au gré des toundras.

Cependant, le mot errance a une mauvaise connotation en français. Il fait référence à quelqu’un d’un peu perdu, sans but, peut-être même un peu triste. Les âmes qui errent sont des fantômes. Ils ne sont pas pleins de vie. Et si sous le terme d’errance, nous entendions plutôt escapades, explorations, expansions de vie et de joie ?

Et si le vent qui nous portait n’était pas la tristesse mais la curiosité ? L’envie de découvrir d’autres paysages, et avant tout notre paysage intérieur ?

2 commentaires sur “Le droit à l’errance

  1. Morgane, je reçois ton invitation et me voici d’ores et déjà plongée dans tes réflexions, toutes ces portes sans clés qui s’ouvrent comme ça à la volée et dont tu as toujours été l’initiatrice. Et je tombe sur ton article au sujet de l’errance … Tu vois, encore une fois, nous vivons les mêmes interrogations. Je suis en arrêt pendant 1 mois, une violence de trop au collège, mon système nerveux en saturation, mes émotions noyées, étouffées par trop de parasitisme (tient … un néologisme :)) comme je suis d’accord avec toi, l’errance est parfois un besoin, d’ailleurs un besoin constant pour moi qui ait besoin d’être dans ma bulle pour être en contact avec ma créativité. Tout ça pour te dire que je suis en train de lire une biographie de Véronique Sanson (« Une voix pour de vrai ») superbe ! La vie de cette femme, ses choix et ceux qu’elle a fait malgré elle, cette liberté qui est en elle et qui l’empêche de toute façon d’aller là où le chemin est trop contraignant et inadapté à elle. Moi je me pose une question : avons-nous autant de liberté que nos parents ? Ces soixantehuitares dont tu parles, comme je les envie parfois d’avoir vécu leur jeunesse à une époque peut-être moins « bling-bling » et superficielle que la nôtre, atteinte d’un perfectionnisme qui tue l’humain ? Tu as raison de rester éveillée face à tout cela. Restons adaptables oui mais pas trop quand même. Le brut de pomme c’est beau et savoureux.
    A bientôt et bravo à toi pour ce site merveilleux et inspirant, rassurant !

    1. Merci pour ce très beau commentaire, si bien écrit, qui fait chaud au coeur.
      Merci d’ouvrir la réflexion vers d’autres exemples (j’irai voir cette biographie de Véronique Sanson alors) de personnes qui nous inspirent.
      Passée la frustration du constat que oui, nous ne grandissons pas dans le même contexte que nos parents, nous pouvons aussi voir que chaque génération a ses problématiques, et que dans la période de changements que nous traversons, il y a à la fois de nouvelles difficultés et de nouvelles opportunités.
      Je pense que certaines personnes commencent à se lasser de ce perfectionnisme dont tu parles, et qu’il faut se tourner vers ces gens qui sont à la recherche de plus d’authenticité, de rapports vrais et bienveillants, d’humanité.
      Alors comme tu le dis, adaptons-nous aux changements mais ne nous plions pas à la sur-adaptation, pour qu’il reste un peu de nous dans tout cela, beaux et imparfaits !

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