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Enflammée

Des fumerolles jaillissent de la crête de Tenerife. Non, ce n’est pas le volcan qui se réveille, mais la dorsale du dragon endormi qui prend feu. Des épaisses fumées s’élèvent vers le ciel, faisant concurrence à la mer de nuages horizontale.

Des libellules mécaniques font des allers-retours, avec une petite goutte d’eau accrochée à un fil. Les hélicoptères font leur part du colibri. Trois avions aux ailes déployées virevoltent en cercle au dessus des cimes comme les rapaces le font habituellement. Les équipements humains paraissent minuscules à côté de la haute montagne qui prend feu. Et pourtant ils s’affairent, dans un balais incessant comme des insectes autour de la lumière. L’énergie des courageux lutte contre les flammes qui s’élèvent haut dans le ciel, suivant la verticalité des pins canariens alignés comme des allumettes.

Je pense aux lézards et aux oiseaux qui doivent fuir, aux habitants locaux qui s’inquiètent pour leur maison, à ces paysages que j’aime tant dans lesquels je promenais il n’y a pas si longtemps.

La Nature fait sa paysagiste, elle est en train de créer de nouveaux points de vue dégagés sur le balcon de l’île.

Le feu a démarré mardi soir, le 15 août, alors que ce jour célébrait la montée de Marie au ciel. Elle a voulu emmener quelques âmes arborescentes avec elle, pensant peut-être les protéger des Hommes. Laisse-nous quelques arbres, laisse-nous profiter encore de ce Paradis sur Terre. Les canariens avaient pourtant été prudents : les chemins de randonnée sont fermés depuis quelques temps, les feux d’artifices annulés. Mais il n’est pas possible de tout contrôler, tout prévoir, tout préserver. Accident d’origine humaine ou naturelle ? L’humain fait partie de la Nature, donc dans tous les cas c’est un accident du vivant. Il y a toujours eu des feux, même avant l’Homme.

C’est ainsi que la Terre se nettoie. Le feu détruit et purifie en même temps. D’autres graines pourront ensuite éclore, inondées de lumière, et l’histoire continuera sont chemin.

En attendant c’est l’hémorragie. Les flammes oranges jaillissent du corps rocheux, les points de suture ne sont pas possibles. Un peu d’eau, un bisou de maman et ça va aller mieux ? Il semble que la blessure soit plus grave que cela.

Quand je pense qu’on investit des milliards dans la machinerie de guerre, je me dis que les billets verts serviraient mieux à panser les plaies de la Terre.

Est-ce que les coupeurs de feu peuvent agir sur le corps terrestre ?

Que mes larmes servent à inonder les flammes et stopper le cheval galopant en cet instant.

Et pourtant, tout changement passe par la remise en question des croyances et des acquis. Tout changement de paradigme implique un passage par la ruine. Et ensuite, une fois la page blanche, ou plutôt la page noire calcinée par les fausses croyances parties en fumées, nous pouvons recommencer. Nous pouvons rebâtir, reconstruire pierre par pierre, refleurir plante par plante, un monde nouveau basé sur des valeurs qui nous conviennent.

Faut-il toujours en arriver là, attendre l’accident du feu ardent ? Une simple égratignure ne permet pas de changer la conjoncture. Une fois soignés, nous repartons du même pied dans la course acharnée. Il nous faut plus pour nous mettre à terre, pour qu’enfin on puisse se rebrancher à la Terre.

Alors parfois je me demande s’il faut vraiment soigner, réparer tout de suite, pour repartir aussi vite. Peut-être faut-il aussi prendre le temps de comprendre la symbolique de la blessure. Qu’est-ce que notre corps veut nous dire sur nos habitudes ? Qu’est-ce que la Terre veut nous transmettre comme message ? Et même s’il n’y avait pas d’intention à proprement dit, quelle leçon pouvons-nous apprendre de cette expérience ?

Tandis que les flammes embrasent la forêt, je souhaite embrasser le souvenir des balades partagées, et j’envoie de tout mon cœur le soutien aux êtres et aux ancêtres, aux esprits et aux endurcis qui en ce moment vivent cette transformation de ce bout de terre, ensemble, dans la chair du volcan. Je ne sais jusqu’où cette transformation nous emmènera.

Mais j’ai confiance dans le Phoenix qui reviendra.

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