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Leçons philosophiques de randonnée

Parfois on se trompe de chemin …

On n’a pas vu le petit sentier entre les hautes herbes, le petit escalier en descente qu’on prenait pour un simple écoulement d’eau, la petite marche en pierre qui s’engouffre dans le lit de la rivière.

Et l’on passe à côté de l’itinéraire que nous avions décidé de suivre de façon téméraire.

Mais est-ce vraiment une erreur ?

Le fait de ne pas avoir emprunté ce chemin à ce moment-là, nous fait parfois découvrir de sublimes promontoires, des passages sur la crête où la vue peut s’épancher puisque rien ne l’arrête. Cet autre sentier emprunté, nous ouvre à de nouvelles opportunités. A ce moment-là, le soleil se couchant par-delà les montagnes, le merveilleux s’invite dans la campagne. Un instant suspendu, entre les cimes des arbres et le volcan, entre le jour et la nuit, hors du temps, en plein dans le monde.

Ce moment précieux, n’était-ce pas ce que nous étions venu chercher en se rapprochant des cieux, en se donnant comme quête de suivre ce tracé sur la carte, aux milles promesses de beaux paysages et de chemins bucoliques ?

Nous avons finalement rencontré le trésor caché : cet instant où l’on se dit : « ouah ». Une sorte d’excitation enfantine, mêlée de sagesse retrouvée, comme le sage qui après des heures de méditation rencontre enfin la paix. Le vieux et l’enfant, réunis dans cet instant. La surprise de la découverte, l’accomplissement de la quête. Une lumière qui éclaire les visages depuis l’autre bout de l’espace, grâce à ce soleil qui joue à l’équilibriste sur la silhouette de l’horizon. Une lumière qui émane de l’intérieur, diffusée depuis notre centre par toutes les émotions qui transpirent et la satisfaction tel un chasseur d’avoir capturé cet instant que nul autre n’a observé au même moment, en cette même saison, sur ce même rocher.

L’aspect unique de l’instant en fait son côté précieux. Il ne pourra pas être reproduit. Nous pourrons revenir à cet endroit, avec d’autres personnes peut-être, mais la magie de cette atmosphère à cette heure du jour en ce jour-là sur cette Terre est passée, comme une apparition, à laquelle on ne sait plus vraiment si l’on peut encore y croire. La seule trace imprimée dans notre terre intérieure des émotions sera peut-être retrouvée par l’archéologue que nous sommes dans quelques jours ou quelques mois, voire quelques années, et que nous nous dirons : je me souviens de cette sensation. Dans la bibliothèque de nos souvenirs, c’est peut-être une sensation similaire qui nous rappellera ce livre lu il y a quelques temps sur la courbe du volcan. Plus peut-être que l’endroit lui-même, qui n’est finalement déjà plus le même. Les mouflons sont passés, le soleil s’est couché, mes cellules se sont déjà renouvelées. Tout a changé. Certaines fleurs ont fané, d’autres se sont révélées.

Finalement, plus qu’un paysage, c’est une émotion que nous recherchons. Comme des drogués d’adrénaline et de curiosité, à la recherche de cette chose qui va nous surprendre, nous réveiller de ces questions qui trottent dans nos têtes en méandres. Paf, en cet instant, la machinerie cérébrale s’arrête, les questions en suspension tombent au fond de l’eau de notre esprit, et le liquide ainsi retrouve de sa clarté. Nous pouvons alors être présents, entièrement incarnés dans nos ressentis, le souffle du vent caressant notre peau, la chaleur des derniers rayons rougissant nos pommettes, les gouttelettes glissant le long du toboggan de notre colonne vertébrale, tout s’aligne, toute structure est à sa place, et un immense sentiment de paix envahit le calme paysage et le cœur qui n’est plus tourmenté.

Perchés sur les sommets de la Terre, loin physiquement du quotidien et des tâches ménagères, nous pouvons alors prendre le recul, observer notre vie depuis nos jumelles, depuis cette part de nous jumelle qui se trouve en haut du rocher, et qui l’esprit clair peut contempler, et apporter un regard neuf sur ce qui s’y fait.

Allégés, quelques litres d’eau et noix en moins dans le sac à dos, nous pouvons alors redescendre dans la vallée, reprendre le cours de nos idées, quelques centaines d’hémoglobines en plus pour nous permettre de continuer de dérouler la bobine, et suivre le fil rouge de notre vie.

Au retour, en passant à côté du chemin manqué, nous nous dirons : « heureusement que nous ne l’avons pas emprunté, nous nous serions retrouvées dans les ronces à la nuit tombée. »

Le plan de départ n’était peut-être pas si parfait. Il fallait s’en éloigner pour retrouver notre vérité.

Attention à ne pas trop s’accrocher à des principes, qui faute de réflexion nous entrainent parfois vers le précipice.

Légers comme un oiseau, agiles comme une chèvre, nous devons nous inspirer des habitants de ce paysage pour sautiller sur les sentiers et rester entiers, sincères envers ce monde éphémère, virevoltant comme le papillon d’un nectar à l’autre, en sachant se reposer auprès de la libellule parfois, au moment du crépuscule.

Nous nous sommes trompées ? Peut-être pas. C’était sûrement le meilleur chemin à emprunter. En tout cas à ce moment-là. Nous avons donc bien fait de suivre nos pas.

Et pourtant parfois, certains chemins ne mènent pas, à l’endroit de nos émois.

Il arrive des impasses, des crevasses, des branches basses et des rochers coriaces.

C’est là que l’humilité doit sortir de l’humidité des mousses confortables, pour nous amener au-delà de notre envie de braver toutes les difficultés. Le héros doit connaître ses limites, au risque de finir comme une stalagmite.

Car le courage de renoncer est une vertu sous-estimée.

Ce jour-là, la décision de revenir sur nos pas, nous permis de monter dans la dernière Toyota qui passait par-là. Cette femme qui était allée planter un arbre, reçu en cadeau par une belle âme, dans sa finca provinciale, nous servi de radeau pour descendre la rivière d’asphalte jusqu’à l’embouchure de la civilisation. Après elle, le calme plat et le silence noir. La route fermait pour travaux, 20 minutes plus tard et c’était le traquenard.

Cette dame empathique, nous a évité de tourner en bourrique, dans les lacets défaits de la route qui tombait le long de la lave et des agaves. 4h30 de marche nous disait Google maps, alors que le double 2 qui s’affichait sur notre téléphone nous rappelaient l’heure avancée de notre épopée. Heureusement que nous étions 2, à vivre cette aventure, les étoiles dans les yeux.

Car le partage rend le naufrage impossible : les peines sont moins lourdes lorsqu’elles sont réparties sur quatre épaules, piliers de l’amitié. Les joies sont plus grandes, lorsqu’elles se donnent en offrande, à coup de cris et de sourires qui fendent le visage.

La dernière heure de marche se fit à pas de loup, sous la voûte constellée de lucioles collées au drap de velours noir qui s’étendait au-dessus de nous. Les plis de la couverture terrestre étaient tirés sur une journée bien chargée. Dans les recoins frais quelques grenouillent ne voulaient pas dormir, et derrière les portails de gros molosses se prenaient pour des hydres.

La voiture patiente nous attendait là, au bout de l’allée cabossée, seule résistante à cette journée de détente. Les autres marcheurs étaient déjà rentrés, probablement déjà les pieds sur le canapé.

Nous étions fières, le sac à dos plein de souvenirs, les membres lacérés par les branches et leurs épées, mais les muscles gorgés des hormones de l’effort, et le cœur plein de trésors.

*

Quelques jours plus tard, nous décidions de terminer notre boucle, d’aller voir ce que nous aurions dû traverser dans le noir. Déposées en bus en haut du sentier, nous empruntions le chemin supposé. Drôle de sensation que de descendre la vallée, comme doublées entre la promenade présente et la version de nous qui aurait dû suivre la pente, quelques jours plus tôt. A sautiller d’une silhouette à l’autre de nous-même, nous nous comptions comment nous aurions pu enjamber ce fossé, glisser sur ce rocher, rencontrer ces mille-pattes et se fouler la patte. Nous pouvions observer le rocher auquel nous nous étions hissées, remarquer à quel point il émergeait de tout ce décor dans lequel aujourd’hui nous pouvions nous plonger. Toutes ces vues que nous aurions manquées, sans le soleil pour les illuminer !

A la fin de la journée, notre boucle était bouclée. Un cycle s’achevait, et la vie pouvait continuer…

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