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Les friches temporelles

En tant que paysagiste, le thème de la friche fut un sujet central pendant nos études. Ces espaces « abandonnés », non aménagés, où la végétation reprend ses droits, créent des lieux souvent surprenants, non dénués de beauté, où la poésie retrouve une place dans la non-organisation humaine, où les potentiels sont multiples, et donc l’imaginaire décuplé.

J’ai toujours pensé qu’il était important de garder de tels lieux de liberté au cœur de nos villes, des zones non planifiées, pour permettre encore de rêver.

Aujourd’hui je prends conscience d’une nouvelle nécessité : celle de créer des friches temporelles, ou plutôt de laisser être ces friches dans notre temps.

En effet, nous avons tendance à « occuper » nos journées avec une multitude de tâches à faire, d’impératifs à rendre, de réponses à donner, de choses à créer, d’affaires à ranger, de pièces à nettoyer, … Nous occupons tout notre espace temporel.

Et si maintenant nous pensions à laisser des friches dans notre emploi du temps, dans notre journée ? Des espaces, non pas physiques mais temporels, où laisser pousser les herbes folles, les imprévus, où l’on puisse s’émerveiller d’évènements non attendus. Tels sont les espaces de liberté que nous pouvons cultiver dans notre quotidien. Et nous avons toujours le rêve et l’imaginaire pour nos escapades joyeuses et libres.

Dans un quotidien en flux tendu, point de place pour la spontanéité. Mais lorsque nous nous gardons du temps véritablement libre, où nous pouvons déambuler dans la rue par exemple, nous nous ouvrons aux coïncidences, nous sommes réceptifs à une nouvelle rencontre, et nous pouvons prendre le temps de discuter. Nous pouvons admirer un rayon de soleil qui met en valeur un détail du paysage. Nous pouvons être à l’écoute des émotions qui nous traversent.

Cet état de présence, d’écoute, nous ramène à la conscience dans l’instant présent. Nous pouvons alors nous sentir vivants, pleinement vivants.

Et finalement, en lâchant un peu du FAIRE, nous pouvons expérimenter l’ETRE.

Cela demande de lâcher le contrôle. Nous ne sommes pas sûrs de ce que nous allons voir, de qui nous allons rencontrer dans cet espace de friche. C’est l’inconnu. Mais cet inconnu peut aussi être exaltant, et apporter son lot de belles surprises, de moments partagés, d’authenticité.

C’est ainsi qu’aujourd’hui je suis allée déposer les marque-pages que j’avais dessinés à la boutique de Fernando. En voyant mes dessins, il a tout de suite imaginé une amélioration, et m’a proposé de les percer et d’y ajouter un petit cordon de cuir. Le petit détail, me dit-il. J’adore. Et nous voici tous les trois, Fernando, Marilena et moi, en train de découper des lanières de cuir, de percer les marque-pages, d’attacher les cordons, pendant bien 2h, tandis que nos enfants jouaient ensemble en rigolant avec ce rire si mignon qu’ont parfois ces petits loustics. Ce moment de création partagée, spontanée, fut rempli de bonnes énergies. Ces échanges ne peuvent se produire que si l’on s’accorde le temps de l’imprévu.

Je sais bien que cela n’est pas toujours possible, que parfois les contraintes extérieures rétrécissent nos temps de friche. Mais si l’on peut, quelques fois dans la semaine, préserver encore ces zones naturelles d’échanges, je pense que nous nous sentirons mieux à la fin du compte.

Alors je vous invite à délimiter dans votre emploi du temps, des zones protégées de la rentabilité, des zones où vous pouvez cultiver votre vitalité.

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